Chapitre 8
L’effet Sippenhaft

Les victoires allemandes étaient devenues une véritable routine, entre-temps. Les équipes étaient tellement supérieures qu’elles ne faisaient la manchette des journaux que lorsqu’elles ne gagnaient pas, ce qui ne se passait pratiquement jamais.
 
Au point que l'événement lui-même menaçait de perdre tout impact.
 
Jusqu’à ce que Berlin, d’un coup de baguette magique, invente un nouveau truc : la Rekordwoche.
Pendant une semaine, une partie de l’Autobahn entre Frankfurt et Darmstadt serait fermée, afin que Mercedes et Auto Union puissent s’attaquer à toutes sortes de records de vitesse en face à face.
 
Un seul mot suffit à qualifier l’idée : idiote.
Les tentatives d’établir de nouveaux records étaient menées en Utah, sur l’étendue relativement sûre des lacs salés desséchés. Et cela ne se faisait jamais en compétition.
Berlin désirait maintenant tenter l’expérience sur un segment d’Autobahn qui n’était même pas tout à fait droit, et qui plus est, en faisant se défier deux équipes.
Il ne fallait pas être clairvoyant pour prévoir comment cela se terminerait. Chercher à briser des records de cette façon-là signifiait d’avance que le duel ne s’arrêterait que lorsque l’un des combattants se serait tué sur la route.
Rudi et Bernd trouvèrent vite un surnom à l’idée lumineuse de Berlin : la Totentanz, la danse macabre.
Mais Rudi avait déjà par trop attiré l’attention du régime : la rumeur voulait qu’il eût demandé la nationalité suisse.
Et Bernd était devenu père de Bernd junior.
 
Bernd n’était pas le premier rebelle à se moquer éperdument de la colère d’un régime de terreur, et il n’était pas le premier non plus à n’accorder aucun intérêt à sa propre vie.
Mais il existait depuis longtemps une façon de mater ces têtes brûlées. Le truc était tout simplement de menacer leurs proches.
Cette recette ancienne était à toute épreuve et les nazis se servaient largement de la Sippenhaft, littéralement la « détention du clan », c’est-à-dire du principe de coresponsabilité de la famille. Naturellement, il s’agissait en l’occurrence de bien plus que d’une simple détention.
 
Il n’est pas possible de prouver historiquement que les coureurs ont été menacés ou non. Ils étaient en tout cas trop populaires pour être simplement liquidés. D’ailleurs, rien n’indiquait que l’admiration de Hitler pour « ses » coureurs et leur génie avait diminué, malgré toutes leurs pitreries. On ne peut cependant s’empêcher de remarquer que tant Rudi que Bernd acceptèrent de jouer ce jeu, qu’ils auraient absolument refusé quelques années plus tôt.
Hitler avait souvent dit que l’individu n’était rien, alors que le peuple était tout. Et il n’y avait nulle part de plus grands égotistes que les coureurs. Dans « Mein Kampf », Hitler avait écrit : « Quand l’État est en guerre, le génie n’a pas le droit de travailler pour son propre compte. Il doit se mettre rücksichtslos au service de sa patrie. »
 
Et l’ombre de la guerre s’étendait déjà sur l’Europe.

 
Croquis de Marvano
 

 

 
 

 Le dessin "clin d'oeil" d'Ever Meulen !

Dossier spécial :
"Les Grands Prix de Formule 1 des années 30"

 

         - Chapitre 1 :
La miraculeuse multiplication des tanks
 

         - Chapitre 2 :
 Le programme automobile du national socialisme

        - Chapitre 3 : 
 L'agenda secret

        - Chapitre 4 : Grand Prix

        - Chapitre 5 :
La Révolte du Long Baiser
 

        - Chapitre 6 :  
Les coureurs

        - Chapitre 7 :
En route pour nulle part

        - Chapitre 8 :  
L'effet Sippenhaft

        - Chapitre 9 :
Le dernier trajet

        - Epilogue
 

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